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La clairière aux mille et une rêveries

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La clairière aux mille et une rêveries Empty La clairière aux mille et une rêveries

Message par Pyoko31 Dim 26 Juin - 20:12

Voici un petit elfe, un tout petit elfe tout rabougri, fané par les âges, assis au centre de cette minuscule clairière. Il se tient là, immobile sur sa vieille souche, au milieu de milliers de lucioles virevoltant dans cette nuit bleutée. Mais voyez-vous, ce petit bout d'elfe n'a pas toujours vécu ici. Il vient d'un monde se trouvant bien au-delà des frontières d'Athel Loren, au-delà même des abords du vieux monde, il vient d'un endroit qui se trouve hors de cette dimension, d'un monde où les hommes voyages dans d'énormes chevaux en armure, où les hommes vivent entassés dans d'immenses constructions dressées vers le ciel, un monde où les elfes ne sont que de petites créatures ailées appartenant à l'imaginaire...
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Message par Pyoko31 Dim 26 Juin - 20:13

Au-dehors, le vent gronde, gémit et s'essouffle, et tout cela paisiblement, entraînant dans sa valse les arbres au plumage envoûtant. Il n'y a qu'à lever les yeux pour apercevoir un ciel d'azur. Ou du moins, il serait si bleu sans ces nuages batifolant dans ses jupes, moutons immaculés grisés par les intempéries. Au-dehors, l'air est chargé, chargé de cette chaleur que l'été affectionne tant, de cette chaleur qui suit les jours de beau temps. Il est des jours où le monde vit au ralenti, les épaules ployées sous le chaleureux de l'été. Mais il s'en vient toujours l'orage. L'orage s'annonçant, grondant, vociférant, dardant ses éclairs vers le sol, s'en vient en sauveur. Et alors que les premières gouttes viennent s'écraser en fumant sur ce sol gorgé de chaleur, ma plume se met à parler de ces histoires d'avant. À l'abri de la tourmente, enfermé dans ce cocon entre quatre murs, bien au chaud dans ma bulle de souvenirs, je me rappelle. Oui, je me rappelle de jours meilleurs, de jours où le doré du soleil venait jouer sur nos peaux. Dans ces instants hors du temps où nous nous côtoyions, le monde était beau. Le reste s'effaçait au profit de ces instants passés avec toi, rêves de caresses du soleil, de brises joueuses qui faisait danser ces quelques mèches échappées de ta natte. Ces jours s'accompagnaient de regards et de rires. Nous lançant des défis, riant pour tout et pour rien, nous jouions l'un avec l'autre, pétris de cette belle innocence qui pousse les hommes à s'aimer. Il ne reste de toi que des souvenirs, parmi les plus précieux de ceux que je conserve au fond de moi. De ces souvenirs qui, rien que d'y penser, raniment cette flammèche d'espoir qui tend à trembloter en ces jours changeants. Au-dehors, la pluie tombe maintenant à verse, furieuse contre cette vitre qui ose lui barrer le chemin. Je ne les vois plus, ces grosses gouttes qui s'écrasent à quelques pouces de mon visage. Moi, je vois l'éclaircie au loin, promesse de renouveau. Le temps est un immense chêne, majestueux, splendide, plein de multiples ramifications. Je ne sais sur quelle branche, quel bourgeon je me trouve aujourd'hui, mais je continue, et je continuerai, à monter, à grimper pour m'élever encore et encore, toujours, toujours plus haut. Je suis maintenant dehors. La pluie bat à mes oreilles, s'écrase contre mon front, coule le long de mes tempes puis de mon cou. Peu à peu, je suis pris d'une irrésistible envie de danser. Je ne sais comment sera demain si ce n'est qu'il sera beau, parce qu'aujourd'hui, parce que maintenant, je danse, entraîné dans cette ronde, poussé par l'amour de la vie qui nous anime. Et qui sait, peut-être demain nos chemins se croiseront à nouveau ? Peut-être, oui, peut-être que nos regards se croiseront de nouveau, peut-être que nous marcherons une nouvelle fois côte-à-côte, oui, peut-être, peut-être...
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Message par Pyoko31 Dim 26 Juin - 20:14

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Message par Pyoko31 Mer 29 Juin - 16:10

I

Le grand animal immaculé se tenait là, à seulement quatre pas de lui. Le souffle lui manquait devant la grâce rayonnante du seigneur des sous-bois. Les rares lumières dansantes qui perçaient la voûte feuillue venaient jouer avec la robe blanche de l'animal tandis que des farfadets remuaient en une gigue effrénée dans sa ramure impressionnante. Alors qu'il s'apprêtait à se rapprocher un peu plus du grand cerf, un abîme s'ouvrit brusquement sous lui, les racines s'écartant sous ses pieds, lui creusant une tombe plus profonde qu'aucune autre sur le vieux monde. Elles se refermaient ensuite derrière lui, inexorables, le broyant sous leur masse. Le jeune élève du barde se réveilla en hurlant. Le sang lui battaient furieusement les tempes alors qu'il s'arrachait à grand peine du carcan des draps collés à lui par sa transpiration. L'elfe, pâle et brun, aux grands yeux sombres et à la musculature fine et parfaite, se leva, nu, et se dirigea vers la pièce d'eau. Il s'appuya contre une large vasque et s'aspergea de l'eau glacée qu'elle contenait. À présent complètement éveillé, il rassembla ses humbles possessions et se prépara au voyage qui les attendait, son maître et lui.

Les sentiers d'Athel Loren s'ouvraient devant eux pour se refermer aussitôt que leurs pas les quittaient. Ils se dirigeaient vers la clairière du Roi où avait lieu le grand rassemblement des bardes de la forêt entière. Au détour d'un chemin, le rideau végétal qui les entourait s'ouvrit sur l'imposant chêne des âges. Ce n'était pas la première fois qu'il venait ici mais comme lors de chacune de ses visites, il resta ébahi devant sa splendeur. De nombreux bardes se trouvaient déjà là et il en sortait toujours plus des sentiers cachés qui menaient à la clairière du Roi. Lorsqu'enfin les retardataires furent là et que tous eurent prit place, le doyen du rassemblement se leva au pied de l'arbre plusieurs fois millénaire, et prit la parole d'une voix chevrotante qui tenait plus d'une volonté de donner une image que d'une réelle faiblesse de la voix.

« Confrères, consœurs, vous savez déjà pourquoi nous sommes rassemblés ici sinon vous n'y seriez pas. Les songes nous ont avertis, les temps ont toujours été en mouvement et il en est de même aujourd'hui. Peut-être même plus encore. Notre forêt qui nous est si chère est assaillie de toutes parts par des nains avides de carburants à leurs immondes machines, par des seigneurs bretonniens convoitant nos terres, par les forces du chaos qui envahissent le monde. Nos dieux sont morts ou ont désertés, les uns après les autres. La mémoire se perd, enfants de la forêt. C'est pour cela que nous sommes rassemblés, pour élire le réceptacle qui contiendra les songes passés, présents et futurs. Seul lui sera capable de nous indiquer la voie que notre peuple tout entier devra suivre. Que tous ceux qui prétendent être capables de recevoir ce fardeau et cet honneur élèvent la voix. Mais seul celui qui en sera digne sera désigné par notre communauté. »

Des bardes, plus ou moins vieux, se levaient à tour de rôle pour s'exprimer. L'apprenti regarda son maître. Comme toujours, celui-ci se taisait et observait, étoffant son opinion sur chacun au fil des heures passées à discourir. Mais le jeune elfe était horrifié par toutes ces imbécillités déclarées à grands renforts de cris. Aucun de ces prétendants n'étaient dignes de devenir le réceptacle des mémoires, aucun n'avait vu la même chose que lui. Poussé irrésistiblement par la force de ses songes, il se redressa. Son maître tenta en vain de l'en empêcher et la clairière entière ne tarda guère à se faire silencieuse pour écouter ce jeune impertinent qui n'avait même pas encore était déclaré barde par ses pairs s'exprimer. Il ouvrit la bouche et un chant en sortit, un chant portant la voix de la forêt, un chant de vérité, l'annonce d'un changement à venir et la promesse d'un futur qui les dépassaient tous…

Ses yeux avaient viré au blanc nacré tandis qu'une aura émeraude l'enveloppait. Certains jurèrent que l'esprit d'Athel Loren lui-même, incarné par le grand cerf blanc, s'était tenu derrière lui à ce moment.

« Des tréfonds proviendront les Autres,
Sombres êtres aux desseins acérés,
De leur griffes le cœur perceront,
Afin de leurs lancinantes ténèbres répandre,
L'obligeant à quitter le sein de sa mère,
Porteur de son peuple,
Gardien des temps anciens
Et protecteur des temps nouveaux
S'élèvera face au consumant ;
Avant que ceux-ci sur le monde ne s'effondrent
Les cieux sauvera ou leur chute précipitera,
Et lorsque la Chose s'éveillera
Son destin accomplira
Sous le voile sanglant
De la perte de l'être aimé ;
Alors tous se prosterneront,
Le sourire aux lèvres
Ou bien les chaînes aux pieds,
Lorsque l'élu prendra place
Sur le trône de la forêt,
Sur la destinée des mondes. »

L'espace d'un instant hors du temps, celui sembla figé alors qu'Ethanaël s'effondrait entre les racines du chêne des âges. Chacun réfléchissait, aucun ne comprenait les paroles de ce messager de la grande forêt. Mais le temps défile, et l'instant ne dure pas une éternité. C'est à l'instant suivant que d'immenses racines noires surgirent du sol, racines torsadées aux épines acérées. Des elfes, immortels et non invincibles, moururent en ce jour funeste, le jour de l'avènement des Autres.

Le chaos faisait rage autour de lui alors qu'il tentait péniblement de reprendre ses esprits en dépit de la migraine qui lui broyait le crâne. La première image nette qu'il aperçut fut celle de son maître lui hurlant de fuir. L'instant d'après, ce dernier gisait sur le flanc, l'abdomen transpercé par une affreuses racine noirâtre. Le disciple se releva en hurlant, sous le choc de la vision qu'il venait d'avoir, avant de s'écrouler, repoussé brutalement par un elfe. Une racine fusa juste au-dessus de sa tête et il comprit que l'elfe venait de lui sauver la vie. Il l'observa un court instant : l'elfe était un tout petit peu plus vieux que lui (à quelques dizaines d'années près), athlétique (même pour un elfe il était plutôt balèze) et il paraît les coups des racines à l'aide de son bâton (tiens, un barde qui se battait ? Était-ce très réglementaire tout ça?). Mais il n'eut pas le temps d'approfondir son examen visuel, ramené à la réalité par les hurlements de douleur d'elfes agonisants et l'hémoglobine qui teintait la forêt de rouges flamboyants. Les racines n'étaient pas vraiment des racines, ou plutôt, disons qu'elles étaient rattachées à d'immenses créatures bipèdes. Les monstres faisaient la taille de trois elfes et leur peau d'obsidienne paraissait insensible. Leurs yeux étaient rouges, brasiers dans la nuit de leurs faces, et semblaient des puits sans fond ouverts sur l'enfer. Ils n'avaient pas de bras mais justement ces racines/tentacules. La panique s'empara peu à peu de lui et contrôla bientôt la totalité de ses mouvements, le poussant à fuir vers les abords de la clairière sacrée. Un vieil elfe mourant lui demanda de l'aide et tenta de s'accrocher à ses chausses mais un tentacule démoniaque mit fin à ses souffrances. La terreur le poussait à courir encore et toujours plus vite, enjambant les cadavres, sautant au-dessus des flaques de sang, esquivant au-dernier moment les tentacules lancés à sa poursuite. Les premiers arbres commencèrent à défiler autour de lui mais il était incapable de s'arrêter, il fallait fuir, toujours, toujours plus, plus vite, plus loin, plus… Un tentacule jaillit du sol, lui perforant la cuisse. Il s'effondra en hurlant, tenant le membre ensanglanté entre ses mains. Un Autre l'avait suivi. Oui, c'était un Autre, il en était sûr, ces monstres ne pouvaient être que les autres. La créature s'approcha de lui, savourant à l'avance de pouvoir goûter à la chair tendre de ce jeune elfe. Ethanaël était cloué au sol par la panique et sa blessure béante. L'Autre se rapprochait encore et encore, pas après pas. Il était maintenant juste au-dessus de lui et le jeune elfe pouvait entendre sa respiration sifflante. Et puis l'autre disparut aussi vite qu'il était apparut. L'elfe se redressa péniblement et fut effrayé par ce qu'il vit : le grand cerf blanc venait de percuter l'Autre de plein fouet et le tenait empalé sur ses bois. Les deux créatures roulèrent dans une étreinte mortelle mais les tentacules noirs ne tardèrent guère à percer le flanc de l'animal mythique une première fois.

L'Autre se redressa, chancelant. Il lui manquait une partie du torse mais il tenait toujours debout. Il se tourna vers Ethanaël et lui adressa un sourire démoniaque. Derrière lui l'esprit d'Athel Loren gisait à même le sol, ensanglanté, percé de toutes parts, mort. Les larmes coulaient sur les joues de l'elfe tandis que le monstre réduisait la distance entre eux à pas lourds et pesants. Ce dernier eut alors un hurlement de rage et de douleur au moment où la pointe effilée d'un bâton lui transperça le front. Il s'écrasa face contre terre et l'elfe qu'Ethanaël avait vu plutôt bondit au-dessus du cadavre. Il portait une jeune elfe sur l'épaule, probablement évanouie, à moins que… Mais Bendhir (c'est ainsi qu'il se nommait) ne lui laissa pas le temps de faire d'avantage de suppositions. Il l’attrapa au niveau du torse, le cala sous son bras et continua sa course avant de plonger dans un arbre. Le tronc du vénérable frêne se referma derrière lui, scellant le passage à travers les racines de la forêt.

La jeune elfe se prénommait Ilhya. Les trois elfes rescapés du massacre se tenaient au sommet d'une colline boisée. L'automne avait paré les arbres d'ors étincelants et une ouverture devant eux laissait apparaître un val boisé. Les Autres n'étaient pas encore venus jusqu'ici et ils y seraient en sécurité, pour le moment. Ethanaël observait le val en contrebas tout en réfléchissant à la prophétie qu'il avait prononcé plus tôt dans la journée sans savoir d'où les mots lui venait. Les Autres s'étaient attaqué au cœur d'Athel Loren et l'avaient obligé à fuir sa forêt-mère. Mais qui était cette « Chose » ? et cet élu ? Ilhya interrompit ses réflexions pour venir vérifier le bandage qui lui maintenait la cuisse. Elle leva un sourcil interrogateur quant à son état et il fit un sourire grimaçant. Bendhir allumait un feu quelques pas derrière eux. Il se retourna tant bien que mal pour observer celui qui l'avait sauvé. L'elfe avait les cheveux cuivrés, le visage impassible et fier. Ses yeux étaient durs, mais honnêtes, et Ethanaël savait qu'il pourrait compter sur lui. Les muscles roulaient sous sa peau tandis qui ramassait du bois mort. Il se retourna à nouveau pour se replonger dans la contemplation du val. Mais Ilhya se trouvait toujours face à lui. Il la trouva belle et fut fasciné par son visage fin aux traits doux, ses grands yeux verts et sa chevelure semblable au plumage d'un corbeau (on parle de la couleur bien sûr). Elle était fine, si bien que l'on pourrait craindre que la moindre brise ne la fasse s'envoler. Les restes de perles dans ses cheveux, sa tunique déchirée par endroit et une flûte brisée passée à sa ceinture démontrait son ancien statut de barde. Oui, elle était admirable.
Et c'est alors qu'il était là, en-dehors de tout danger, face à ce paysage paisible, que le monde se mit à trembler…


II

Bendhir ramassa ses quelques possessions étalées autour de lui et les roula dans son paquetage avant de se lever. « On se remet en route, il faut absolument maintenir l'écart entre eux et nous. » Ethanaël passa sa sacoche et se leva à son tour, aidant Ilhya à se mettre sur pieds. Les trois elfes se mirent en route en direction du soleil levant. La forêt autour d'eux était morte. Une autre créature qu'un elfe n'y aurait prêté garde : les feuilles, d'un vert éclatant, se balançaient en chantant au bout des longues branches de ces grands arbres qui les entouraient. Seulement la vie avait déserté la forêt : depuis maintenant quatre jours qu'il se trouvaient là, ils n'avaient aperçu nulle créature, ni oiseau, ni insecte. La sève ne coulait même plus dans les immenses troncs qui étaient autrefois, sans aucun doute, somptueux et respirant la vie. C'était Ilhya qui s'en était aperçue la première. Cela lui avait fait un choc, comme à eux tous lorsqu'elle leur avait rapporté la malheureuse nouvelle. Quelques plantes commençaient à se racornir, rongées par le poison que les Autres avaient amené avec eux. Et puis surtout, le monde s'était mis à trembler. Cela s'était produit quatre jours auparavant, lors de leur arrivée dans cette forêt perdue. Au fil de ces quatre jours, les secousses s'étaient intensifiées et étaient devenues plus fréquentes. Les Autres les avaient suivi jusqu'ici. Ils avaient mis peu de temps à comprendre comment se déplacer à travers les racines d'Athel Loren, et encore moins pour trouver comment forcer ces dernières à leur livrer passage. Depuis, les trois elfes fuyaient. Il ne devaient, ne pouvaient pas s'arrêter.

Ethanaël marchait songeusement derrière ses deux compagnons d'infortune. Passé le choc émotionnel, il commençait tout juste à prendre conscience de ce qu'il s'était réellement passé ce jour-là dans la clairière du chêne des âges. La forêt était morte, assassinée par ces créatures. Non, elle n'était pas morte. Elle avait changé d'allégeance, éliminant ces parcelles qui refusaient de se livrer à l'autorité des Autres, impitoyablement, implacablement. Cela se ressentait jusqu'ici, dans cette forêt située à l'autre bout du Vieux Monde. Le poison de ces créatures pulsait dans les veines de cette forêt qui lui était inconnue. D'ailleurs, ces créatures, qu'étaient-elles ? Des démons ? Des esprits des forêts corrompus ? Elles ne ressemblaient ni aux uns, ni aux autres. Elles étaient terrifiantes, et quasiment indestructibles. L'une d'elle s'était même battue contre l'esprit d'Athel Loren, et plus encore avait vaincu cet être immortel. Et puis Bendhir lui avait planté son bâton dans le crâne. Si seulement cela l'avait véritablement tué : le jeune elfe avait vu la créature frémir et serrer le point avant d'être aspiré à travers les racines de la forêt. Maintenant, une épée battait contre sa hanche au gré de ses pas. Une arme ? Où en était-il donc arrivé ? Un barde ne se battait pas. Cependant, lorsque Bendhir la lui avait tendu, il en avait reconnu la nécessité, bien que ne sachant trop comment il pourrait tuer un de ces monstres avec. En parlant de Bendhir, il s'agissait en fait d'un danseur de Loec. Le seul tatouage honorant son protecteur qu'il portait, il le portait sur l'intérieur du poignet gauche, c'était pour cela qu'il ne l'avait pas vu au premier abord. Dès qu'ils prenaient le temps de faire une courte pause pour se reposer, l'elfe lui apprenait à manier son épée. Il s'était taillé un nouveau bâton de combat et le bois cognait contre l'acier elfique tandis qu'il l’initiait aux danses porteuses de la mémoire de leur peuple. Ilhya se chargeait de lui enseigner les chants que son maître n'avait pas eu le temps de lui apprendre. À côté de ces deux-là, il se sentait misérable, frêle elfe sans aucun talent, apprenti n'ayant même pas terminé sa formation. Il passa machinalement sa main contre l'écorce rugueuse d'un arbre, quêtant le réconfort auprès de la forêt. Mais il ne ressentit qu'un immense et cruel vide. Non, elle n'était plus là. Le lien qu'il avait tissée avec elle au fil des saisons n'existait plus. Il avait l'impression d'être amputé d'une partie de son être. Deux jours maintenant qu'il avait entièrement pris conscience de cette perte. Ne pas pleurer. Un elfe ne pleure pas, pas comme ces misérables humains. Mais elle n'était plus là, sa seule amie, sa mère, celle qui l'avait élevé, nourri et porté jusqu'à il y a peu. Il réprima un sanglot en se mordant violemment l'intérieur de la joue. Tout à ses pensées, il avait laissé ses deux compagnons le distancer. Il s'apprêta à les rejoindre en quelques amples enjambées mais fut arrêté à la vue d'un arbre. De fines veines noires circulaient le long de son écorce. De fines veines noirâtres qui bougeaient. Non, des tentacules. Il recula d'un bond, horrifié. Les tentacules se détachèrent du tronc et s'épaissirent, se rejoignant, s'enroulant en une sorte de sphère tentaculaire sombre qui prit rapidement la forme d'un Autre.

La créature se jeta sur lui, hurlant un silence terrifiant. Tétanisé, Ethanaël ne reprit ses esprits qu'au tout dernier moment et évita le tentacule qui fusait vers lui. Le membre laissa une trace brûlante sur son bras, et la tunique déchirée aux abords de l’estafilade se mit à se consumer. Horrifié, le jeune elfe vit ses chairs commencer à noircir. Il s'empara de son épée et trancha la partie touchée, mettant sa chair à vif. La seconde attaque le toucha à la cuisse, rouvrant sa blessure. Sans réfléchir, il s'entailla plus profondément encore afin de se débarrasser de ce poison. Il releva le menton en direction de l'Autre. À quelques pas de lui, celui-ci le regardait se blesser lui-même. Il avait l'air amusé. Bouillant de rage, il se jeta sur le monstre et lui trancha le bras (enfin, l'espèce de tentacule qui en tenait lieu). L'Autre hurla et recula. L'expression de cette face énigmatique changea. La lueur meurtrière qui brillait au fond de ses yeux n'était plus la même. Alors le bras-tentacule repoussa et l'Autre se jeta sur Ethanaël. Il para esquiva avec son épée. Se remémorant à chaque geste les danses apprises auprès de Bendhir. Et, lorsque l'occasion se présenta, il balança un coup de taille qui aurait dû trancher le tentacule qui s'était interposé. Mais l'épée rebondit et, sous la violence du choc, fut arrachée à la main de l'elfe. L'Autre eut un espèce de grognement qui ressemblait fort à un rire.

« Et toi Ethanaël, que penses-tu de cette ode qu'Ilhya vient de nous composer ? » Ne percevant pas de réponse, Bendhir se retourna et scruta le sentier derrière eux, vide. Tendant l'oreille, il entendit des bruits de lutte étouffés plus loin en arrière. Il poussa un juron si odieux que nous ne le relèveront pas. Il laissa tomber son paquetage au sol et s'élança en direction du combat, bâton entre les mains, Ilhya sur les talons. Lorsqu'il arriva sur le lieu de l'affrontement, il vit un Autre plaquant Ethanaël contre un arbre. Un tentacule transperçait le ventre de l'elfe. Bendhir ferma les yeux et se lança dans sa meilleure interprétation de l'acte d'adoration à Loec. Le bâton de combat fendit les airs en direction de l'Autre et ne rencontra aucune résistance. Étonné, il rouvrit les yeux et se retrouva face au visage rieur de l'Autre qui l'envoya s'écraser plusieurs mètres en arrière. Il eut le souffle coupé sous la violence du choc, tout l'air de ses poumons ayant été expulsé en une fraction de seconde. Sa vision se troubla mais ce qu'il vit alors le troubla encore plus.

L'Autre venait d'envoyer valser Bendhir et avait donc relâché sa vigilance. Sans un bruit, animé d'une détermination implacable, Ethanaël se saisit du tentacule qui le clouait à l'arbre, ignorant la douleur causée par les brûlures du poison, et l'arracha. Il retomba au sol tandis que l'Autre se retournait vers lui, étonné. Il se réceptionna maladroitement et, chancelant, vit ses entrailles se refermer d'elles-mêmes. Alors il s'élança en avant. Les larmes contenues depuis toujours ruisselaient sur ses joues. Il était un elfe, et pourtant il n'avait jamais eu sa place parmi les siens. Toujours à l'écart, élevé par la forêt, cela avait été une chance pour lui que maître Guild'Lhyn le recueille et lui enseigne les mystères des bardes. Mais ces créatures avaient détruit sa mère, l'avait corrompue, avant de tuer son père adoptif sous ses yeux. Et maintenant celui-là s'en prenait à ses amis, les premiers qu'il n'avait jamais eu. Non, il ne se sentait pas particulièrement elfe, mais il était vivant, et rien, rien n'avait à ses yeux le droit, la prétention de s'en prendre à ceux de son vrai peuple. Plus aucun Autre ne prendrait une vie. Il empoigna à pleines mains le tentacule noir qui fusait vers lui, l'arrêtant dans sa course, avant de tirer dessus de toute ses forces. À la grande surprise de l'Autre, le tentacule fut arraché et vola loin derrière Ethanaël, se perdant dans les frondaisons. Un autre tentacule commença à repousser mais Ethanaël ne lui en laissa pas le temps, arrachant un à un les membres de la créature. Celle-ci roula sur le côté, hurlant de douleur. Elle se releva sur des jambes neuves et darda au jeune elfe un regard de haine pure. Mais une autre nuance d'émotion s'était glissée dans ces prunelles rouges flamboyantes : la peur. L'Autre attaqua. Ce fut son dernier geste. Ethanaël esquiva le coup en pivotant sur lui-même et enfonça son coude dans la gorge de l'Autre. Le monstre cracha une giclée de sang noir qui vînt éclabousser l'elfe, mouchetant son corps de fines goutelettes sombres. Le corps de l'autre partit lourdement en arrière, mais ce que fit Ethanaël surprit tous ceux qui étaient présents : l'elfe plongea d'un geste vif ses deux bras à travers la poitrine de l'Autre. Il s'enfoncèrent comme si elle n'avait pas plus de consistance que de l'eau. L'Autre, projeté en arrière, s'écrasa contre un arbre dans une gerbe de sang, mort. Deux tentacules, un sur chaque bras, se rétractèrent jusqu'à disparaître, laissant les deux mains de l'elfe dégoulinant d'un sang noir comme la nuit la plus profonde. Il tenait une petite chose au creux de sa paume. Il souffla doucement dessus et la vie qui avait habité l'Autre s'envola et s'évaporât dans la forêt, redonnant un léger souffle aux arbres alentours.

Bendhir et Ilhya suivait Ethanaël depuis maintenant cinq ou six heures. Aucun mot n'avait été échangé, ils n'osaient pas. Qui était donc cet elfe ? Non, qu'était-il ? Ethanaël rompit alors le silence pesant : « Nous y sommes, voici le sanctuaire établit ici par nos ancêtres avant qu'ils n'en fassent disparaître la trace de toutes les mémoires, y compris des leurs. » De vieilles pierres couvertes de caractères perdus gisaient ça et là dans l'herbe, recouverts par la mousse, les lichens et les lianes. Une ouverture se dessinait dans le sol, entre les racines d'un immense chêne, ou plutôt, un passage vers les ténèbres se découpait là. Bendhir frissonna, mais Ilhya posa une main douce sur son avant-bras. « Ce sont les premiers arbres vivants que nous rencontrons depuis notre arrivée dans cette forêt. Une aura étrange émane de ce lieu, mais je ne crois pas qu'il s'agisse d'une aura démoniaque. » Elle lui adressa un sourire et, lorsqu'il redressa la tête, il aperçut Ethanaël qui s'était rapproché d'eux. L'elfe se tenait maintenant à moins d'un pas de lui et il réprima avec peine un mouvement de recul. Ethanaël esquissa un sourire.
« - Voici le second cœur du monde, et la source même de la vie qui se répand dans cette dimension. Nos ancêtres l'avait compris et y ont érigé un temple. Mais il s'aperçurent à leurs dépends que la vie engendre la mort. Alors ils ont fait disparaître toutes traces de cet endroit et leur magie alliée à la vie a donné vie à cette arbre qui a recouvert l'endroit de ses gigantesques racines. Si nous voulons savoir qui sont réellement ces Autres, je pense que nous y trouverons réponse, ainsi que celles de bien d'autres questions. Je ne peux vous obliger à me suivre plus loin, la mort m'attend probablement, non, certainement, au bout du tunnel. Mais je dois savoir. Si vous devez vivre et combattre ces créatures, vous devez savoir ceci : elle ne sont pour nous rien d'autre que la mort. La mort qui a pris vie. Nous n'avons eu de cesse de la repousser, luttant contre les forces du chaos qui la sèment, vivant des milliers d'années. Ce ne sont pas les démons qui ont causé un déséquilibre, ils ne sont que la volonté de ce monde qui cherche à retrouver cet équilibre que nous avons rompus. Alors, comme la mort, les Autres représentent votre plus grande peur, et s'en nourrissent. Ils s'adaptent, la mort s'adapte, afin de ne plus manquer son coup à l'avenir, cela lui est déjà trop souvent arrivé par le passé.
- Alors pourquoi cherches-tu à aller dans ce sanctuaire si tu sais déjà tout ça ?, s'exclama Bendhir.
- Il y a peut-être un autre moyen de rétablir l'équilibre, et il m’incombe la tâche de le chercher. »
Ilhya prit alors la parole :
« - Mais ne viens-tu pas de dire que ces Autres sont la mort ? Pourquoi cherches-tu à savoir ce qu'ils sont si tu le sais déjà ?
- Ils sont notre mort, mais pourquoi ? Qui les a engendré ? Et surtout, que sont-ils réellement en dehors de cette idée abstraite qui taraude les mortels ? »
Aucun ne répondit, absorbés dans leurs pensées. Alors Ilhya mit le point sur quelque chose qui clochait dans ce que venait de dire Ethanaël :
« - Attends un instant, comment sais-tu tout ça sur la mort ?
- J'en reviens... »


III

Ethanaël s'engouffra dans l'étroit tunnel qui plongeait vers d'insondables profondeurs, ses deux amis sur les talons. Un fin lichen phosphorescent recouvrant le dallage s'allumait sous leurs pas pour s'éteindre peu après leur passage. L'elfe laissait le bout de ses doigts courir sur le mur au fur et à mesure de sa progression. L'endroit respirait la vie. Des échos de vies passées et futures résonnaient à ses oreilles. Et ils s'enfonçaient toujours plus profondément dans les ténèbres.

Ils avaient arrêté de compter le temps qui défilait depuis leur entrée en ce lieu. Le couloir qu'ils suivaient depuis peut-être deux heures, ou deux jours, descendait toujours plus dans des courbes plus ou moins serrées. Ils avaient perdu tout repère du temps et de l'espace. Ici, seul comptait l'instant présent. Mais toute chose a une fin et le couloir finit pas s'élargir pour former une vaste caverne. D'immenses arbres cristallisés en soutenaient la voûte, si bien que la voûte de ces arbres et celle de la caverne n'en faisaient qu'une seule et unique. L'endroit était éclairé par toute une flore et une faune phosphorescentes : toutes sortes de lichens et champignons s'accrochaient ici et là, diffusant une lumière tamisée dans une caverne qui tenait plus d'une forêt enchantée où volaient des insectes de toutes formes et tailles, eux aussi lumineux. L'endroit dégageait une impression de luxuriance paisible, loin, très loin du monde que les trois elfes connaissaient. Toutes ces lumières se reflétaient dans l'eau miroitante d'une immense vasque taillée dans la roche. Lorsqu'il s'en approchèrent, Ethanaël put se voir nettement dans l'eau, encadrés de lueurs virevoltantes émises par les habitants des lieux. Les bords de la vasque, sous le niveau de l'eau, étaient gravés de symboles ancestraux. Des marches descendaient sous l'eau. Ethanaël s'accroupit au-dessus de la première d'entre elles et rida la surface de l'eau du bout de ses doigts. Cette eau était étrange, elle ne ressemblait en rien en ce qu'il connaissait. Le contact frais et délicat de cette eau sur ses doigts l'incita à la curiosité. Sous les yeux interrogateurs de Bendhir et Ilhya, il se releva et fit un pas en avant. Son pied entra doucement dans l'eau, provoquant l'expansion d'une légère onde qui courut jusqu'aux bords du bassin. Le deuxième pas le fit s'enfoncer jusqu'à la moitié du mollet. Bientôt il avait de l'eau jusqu'à la taille, puis jusqu'aux épaules. Il adressa un dernier sourire à ses amis puis se laissa couler. Il atteignit le fond du bassin et se réceptionna sur la roche gravée avec légèreté. L'air s'échappait de ses poumons pour être remplacée par cet étrange liquide. À son contact, les glyphes s'illuminèrent et l'endroit ne tarda guère à s'éclairer dans son intégralité. Il voyait les symboles danser devant ses yeux à travers l'eau limpide. C'est alors qu'il sentit une vive douleur à son abdomen. Il baissa les yeux et vit la blessure causée par l'appendice de l'Autre grande ouverte. De fins tentacules noirs s'agitaient sur les bords de la plaies. Un sang noir s'échappait de ces tentacules. Un sang noir s'échappait de son corps tout entier pour se fondre dans cette eau et disparaître. Les tentacules devinrent transparents, iridescents sous la lumière ambiante. Et la blessure se referma à nouveau d'elle-même, pour de bon cette fois-ci. Puis ce fut au tour des entailles qu'il s'étaient infligé pour se débarrasser du poison, puis de la plaie à sa cuisse. Il en fut ainsi pour toutes les blessures qu'il avait subi au cours de sa vie. Et lorsque son corps tout entier fut ainsi purifié de toute trace de souffrance, ce fut au tour de son esprit. Il esquissa un pas en arrière, et repartit vers l'avant, balançant son pied vers la surface du bassin et courbant son corps, interprétant une danse des ombres que personne n'avait jamais dansé jusque là, une danse de lumière. Ses mouvements s'enchaînaient les uns après les autres, se fondant en un seul mouvement universel. Lorsqu'il eut finit, il se redressa lentement et observa une nouvelle fois les signes. Ils avaient changés. Alors il ferma les yeux et réalisa une seconde fois cette danse de lumière. Mais cette fois-ci il se mit à chanter. Il chantait, sous l'eau, un chant qui retraçait l'histoire d'Athel Loren, l'histoire des elfes, l'histoire du monde et de l'univers, depuis le commencement. Il esquissa le dernier geste et retomba doucement en arrière, le sourire aux lèvres. Il se rappelait de tout. Il était le réceptacle de la mémoire du monde, il était le porteur de son peuple, le gardien des temps anciens et le protecteur des temps nouveaux. Sa force ne serait pas faite de ténèbres mais de lumières. Il ne serait pas la peur, mais l'espoir. Alors qu'il sombrait, le visage tourné vers la surface, il remercia les anciens du cadeau qui lui avaient fait, de la seconde chance qu'ils lui avaient donné en le débarrassant des ténèbres enfouies en lui. Et, à l'instant où son dos effleura le fond du bassin, l'endroit fut envahi par une vague de lumière blanche émanant de l'endroit où il se tenait juste avant. Il avait disparu.

Bendhir et Ilhya, restés au bord du bassin, mirent du temps avant de réussir à mettre des mots sur ce qu'il venaient de voir. Ethanaël n'était plus là. Leurs regards se rencontrèrent. Une autre déflagration lumineuse eut lieue. Lorsque la pénombre reprit possession de la caverne, uniquement troublée par les lumières de la vie qui y résidait, il ne restait plus aucune trace du passage des trois elfes. Les trois s'en étaient allés.
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Barde de Printemps

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